Michel Niedbala est architecte de golf. Un métier qui n’a pas d’école à proprement dit car le marché est trop petit. Après plus de 25 ans de construction de parcours de golf pour des grands noms que sont Nicklaus, Palmer, Robert Trent Jones (père et fils) ou encore Player, Michel Niedbala a apposé sa patte et sa signature sur des parcours comme des golfs en Allemagne, les golf des Dolomites ou de San Pietro Terme en Italie ou encore Le Provençal à Sophia Antipolis, le Golf de Villenave d’Arnon près de Bordeaux ainsi que le centre d’entraînement Albatros à Terre Blanche. Architecte également du futur golf de Roissy dont l’ouverture est prévue pour le printemps 2020, il a répondu à nos questions sur sa profession d’architecte de golf.
Sans école pour apprendre, comment devient-on architecte de golf ?
Au départ, je suis ingénieur Travaux Publics et j’ai une formation dans les beaux-arts. Ce métier fait appel à plusieurs savoir-faire qui deviennent de plus en plus importants à mesure que l’on est sur des projets complexes. Disons qu’avec un important bagage technique et un goût artistique prononcé, on peut s’intéresser au golf puisque ces 2 passions se rejoignent.
Comment l’histoire a-t-elle commencé pour vous ?
J’ai d’abord commencé à construire des routes et des autoroutes. Il y a plus de 30 ans, j’ai eu l’occasion de participer au développement d’un département golf en construction via une entreprise en Haute-Savoie qui s’appelle Benedetti. Ensuite, j’ai construit des parcours de golf en France et à l’étranger. Un jour, alors que je travaillais en Allemagne sur un parcours de Jack Nicklaus, le propriétaire des lieux m’a demandé si cela m’intéressait de lui dessiner le tracé de son prochain parcours de golf.
Faut-il être un (bon) joueur de golf pour devenir architecte ?
Oui, c’est nécessaire pour comprendre les tenants et aboutissants de ce que je dessine, comprendre les stratégies de jeu. Pour ma part, quand je projette quelque chose, je me pose sur le terrain et je me laisse influencer par le paysage, ce que je vois autour de moi bien évidemment mais aussi du niveau de jeu que l’on veut obtenir et la qualité du parcours de golf souhaitée. Selon toutes ces contraintes initiales connues (le budget en étant une autre importante bien sûr), il faut tirer parti du terrain pour amener techniquement et esthétiquement une expérience aux joueurs.
Par exemple le golf de Roissy se situe à côté d’un aéroport international, porte d’entrée en France. Ce contexte particulier ne peut que amener à un golf particulier par rapport à l’environnement dans lequel il est placé.
Considérez-vous avoir une influence ou des modèles dans votre métier ?
Non, je ne me sens pas dans une lignée d’architectes car chacun a sa propre sensibilité. Je vais surtout apprécier certaines architectures par rapport au contexte dans lequel elles se situent. Si vous prenez l’exemple de Pinehurst (Caroline du Nord, USA) qui est une très belle réalisation, notamment avec les travaux sur le Pinehust n°2 qu’ils ont « remis » à l’ancienne. Il y avait notamment un souci vis-à-vis de l’environnement et le souhait de réduire les coûts d’accessibilité au parcours, à savoir utiliser moins d’eau pour l’arrosage et proposer un site tel qu’il était à l’origine avec la présence du sable. Ce sont de tels éléments qui vont me faire apprécier un parcours plus qu’un autre, et pas forcément l’architecte qui est derrière car il a pu faire d’autres réalisations qui ne m’ont pas plu.
Que regardez-vous sur un parcours de golf que vous n’avez pas créé ?
Ce qui m’intéresse, c’est l’intelligence qui a été mis dans le dessin pour créer une ambiance, exploiter au mieux ce qu’il y a autour et challenger le golfeur. Il faut toutes les gammes de parcours de golf : du très facile à jouer jusqu’au plus compliqué. Il y a par exemple un très beau parcours de Pete Dye au Nord d’Orlando en Floride (Black Bear GC) car il est extrêmement intégré dans un paysage de grandes dunes où il a su exploiter toute la dramaturgie du site environnant pour créer un résultat très original. A contrario, d’autres réalisations de Pete Dye ont pu me laisser un peu pantois.
Quand vous devez créer un parcours, qu’est-ce qui vous inspire ?
Je m’inspire beaucoup des formes du grand paysage dans lequel je suis, pour créer les formes du parcours en lui-même. Il y a une sorte d’échange, de dialogue entre le grand paysage et le paysage que je crée. Ce sont des éléments qui sont importants pour moi lorsque je dessine un parcours de golf.
Comment cela passe quand il n’y a pas de « grand paysage » autour ?
Si on prend l’exemple du Golf National, projet auquel j’ai participé, il n’y avait rien donc on a créé toutes ces zones surélevées qui ont permis d’en faire ce qu’on appelle le stadium. On est rentré dans un artifice total qui était nécessaire.
Qu’est ce qu’un beau golf selon vous ?
Quand il n’y a pas du tout d’artifices qui sont venus supplanter la beauté du site. Si un site est généreux avec un paysage riche, il n’y a d’ailleurs quasiment pas d’artifices puisque vous êtes déjà dans un lieu qui est beau par soi-même. Prenez l’exemple du Golf Club Dolomiti en Italie, celui-ci est juste magnifique car vous avez les Dolomites autour, il n’y a pas de lignes électriques, vous voyez les montagnes autour avec la neige, les forêts avoisinantes où à l’automne, cela devient une merveille absolue.
La question de l’environnement est de plus en plus présente dans les golfs aujourd’hui, le sujet est-il réellement nouveau pour vous ?
L’environnement fait partie du grand paysage que j’évoquais plus tôt et c’est une composante que j’ai toujours intégrée. Quand j’ai créé le parcours des Dolomites il y a 20 ans, j’étais déjà très au fait de l’écologie. D’abord parce que cette démarche était impérative pour pouvoir construire le parcours vu le site merveilleux dans lequel on allait travailler et on ne pouvait pas souffrir d’approximations. D’ailleurs, pour l’anecdote, tout mon cahier des charges lié à la création de ce parcours a ensuite été repris par la région autonome de Trente pour rentrer dans les règles futures de construction et développement de parcours de golf.
Et pour le futur golf de Roissy par exemple, comment cela s’est traduit ?
Je vais vous citer l’exemple du ru qui sillonne dans le fond de vallon et qui récupère toutes les eaux pluviales des réseaux de la ville de Roissy et des voiries qui circulent autour. Ce qui fait d’ailleurs qu’on pouvait passer d’une eau très claire au noir très foncé ! Dans le cadre du projet, on a « renaturalisé » tout le ru sur 600m de long environ. C’est-à-dire que l’on a enlevé le béton qui avait été installé et re-qualifié les choses de manière correcte afin d’avoir un écoulement naturel, où la nature va pouvoir s’épanouir, tant la flore que la faune. On a aussi semé de la sanguisorbe qui va permettre de réintroduire des papillons, l’azuré des paluds – une espèce protégée.
L’eau est essentielle à l’entretien d’un golf, comment l’avez-vous abordé à Roissy ?
Le stockage des eaux pluviales se fait dans deux grands bassins qui représentent 90000 m3, sachant qu’on va utiliser de l’ordre de 110000 à 120000 m3 pour l’arrosage. De ces bassins, on pompe l’eau vers une zone de phytoépuration qui se fait à travers des plantes semi-aquatiques et aquatiques pour récupérer l’eau dans un autre bassin de stockage en contrebas où elle peut être controlée. On a ensuite un autre système de pompage qui remonte l’eau dans un dernier bassin, tout près du club-house, via une cascade de 20m de large et un torrent qui vont permettre d’oxygéner toute cette eau. Cela offre en plus, une animation dans le paysage près des trous 9 et 18.
Votre travail a-t-il évolué avec les nouvelles technologies ?
Entre aujourd’hui et ne serait-ce que 10 ans en arrière, les progrès ont été très importants sur les graminées ou encore les systèmes d’arrosage. A Roissy, nous avons installé des sondes dans le sol qui mesurent la température et le taux d’humidité pour faire des apports en eau encore plus précis. Il y a un système dédié à la surface de putting du green qui n’arrose que celui-ci et un autre pour les contours de green et l’avant green. On différencie l’apport en eau car la nature du sol entre ces deux parties n’est pas du tout la même et n’a donc pas les mêmes besoins. Désormais on a une utilisation rationnelle et rationnée de l’eau.
Avant le 1er coup de pelle sur le golf, il se passe combien de temps à la préparation et au développement du projet ?
Pour Roissy, j’ai remporté le concours parmi 13 équipes candidates en 2008 et on a creusé le premier bassin en 2018 ! On a donc mis quasiment 10 ans à démarrer le projet. Entretemps, il faut notamment obtenir les autorisations. C’est d’ailleurs le seul golf de France qui a reçu une déclaration d’utilité publique puisqu’en plus du golf, j’ai développé 8 kms de chemins pour les promeneurs autour et même à l’intérieur du parcours.
Et, une fois le golf terminé, des futures modifications doivent-elles passer par vous ?
Oui parce que cela est considéré comme une oeuvre artistique et donc j’ai mon mot à dire. Donc aucune modification ne peut être apportée sur un parcours que j’ai créé, et puis le client a toujours le souci de me solliciter pour avoir mon avis sur la qualité des travaux envisagés.
Quels conseils pourriez-vous donner à quelqu’un qui souhaite devenir architecte de golf ?
Il faut avoir une formation solide dans la construction : terrassement, drainage, … Il est nécessaire de maitriser tous ces aspects techniques car tout est imbriqué. Ensuite cela passe par un apprentissage, le mieux est évidemment au contact d’un architecte de golf. J’entends souvent les gens dire qu’ils peuvent dessiner un golf, ou même le gérer et l’entretenir sous prétexte qu’ils savent jouer au golf. Tous ces métiers font appel à des savoir-faire très pointus.
En conclusion, qu’est ce qui vous plait le plus dans votre métier ?
Le jour de l’inauguration (rires) ! Plaisanterie à part, l’intérêt de ce métier est permanent. Vous êtes dans un métier créatif mais cette créativité ne se limite pas aux seuls dessins du tracé. On touche à énormément de sujets, et tout le contexte dans lequel s’inscrit le parcours est important. J’attache aussi beaucoup d’importance à la création du club-house comme celle du centre de maintenance. D’ailleurs concernant ce dernier, je voudrais ouvrir une parenthèse. Trop souvent au sein des golfs, le centre de maintenance est la « 5e roue du carrosse » alors qu’on y loge des gens qui créent ce que vous vendez. Mieux vous traiterez correctement les gens qui entretiennent les golf, plus beau le golf sera car ce sont ces personnes qui le font. Ce n’est ni le directeur, ni l’architecte ou le joueur de golf. Ce sont ceux qui viennent tous les jours y travailler et qui vont manucurer le golf.